En plus de l’aspect financier et de la protection du travail qui rend plus difficile et coûteuse la rupture du contrat, dans certaines entreprises, les collaborateurs avec de l’ancienneté sont privilégiés par le fait d’être prioritaires sur tout et de ne plus réaliser les tâches les plus ingrates. Ainsi, les nouvelles recrues se voient attribuer toutes les tâches que les anciens ne veulent plus faire et passent systématiquement après les anciens. Est-ce une bonne solution ? Faut-il libérer les anciens de certaines tâches pour les donner aux nouveaux ? L’ancienneté doit-elle apporter des avantages autres que les aspects financiers ?

La reproduction du bizutage


C’est bien connu. Lorsqu’on subit un système de bizutage, on a tendance à le reproduire naturellement. C’est la reproduction exacte du « J’en ai bavé en arrivant donc c’est normal que les nouveaux le subissent à leur tour ! ». Avec ce fonctionnement, on attend donc avec impatience l’arrivée des petits nouveaux pour leurs refiler toutes les tâches ingrates qu’on ne supporte plus faire. Il faut quand même avouer que c’est un peu tordu d’accueillir une nouvelle recrue avec son plus grand sourire, en se frottant les mains et en disant : « Ahhhh qu’elle bonne nouvelle, une nouvelle recrue, tiens cadeau voici la liste des tâches ! »

Bien sûr, cette pratique n’est pas une généralité, et heureusement d’ailleurs, mais c’est une réalité dans certaines entreprises donc il est important de lever le point pour y remédier.

La mafia des anciens

La mafia des anciens, c’est quoi au juste ? Et bien, c’est la fusion des anciens collaborateurs, tous âges confondus. Ces collaborateurs sont tous d’accord entre eux bien évidemment et rendent l’intégration des nouvelles recrues plus difficile. C’est eux d’abord, les autres après. Ils ont toujours raisons, les autres ont forcément tort. L’employeur ferme souvent les yeux car les anciens sont les piliers de l’entreprise et sont respectés de tous. Ils ont le relationnel, les meilleurs clients et l’expérience. Ainsi, on les écoute et on ne veut surtout pas les froisser même si leur comportement dépasse les bornes.

La reproduction bête et disciplinée des anciennes pratiques se transmet comme une histoire sans fin car « On a toujours fait comme ça donc pourquoi changer ». En gros, on a toujours foncé dans le mur car on aime bien se faire mal, ça forge le caractère. Ok mais personne ne s’est posé la question qu’il y avait peut-être une autre solution pour éviter de se faire mal inutilement ? Tolérer ce système de bizutage, consiste à tolérer l’injustice au final et il n’y a rien de pire pour démotiver des nouvelles recrues. Que ce soit sur le choix du planning, comme les horaires ou le jour de repos, du lieu de travail en cas de gestion régionale, la répartition des tâches ou encore des formations professionnelles, la priorité va aux anciens. Est-ce vraiment juste ?

Cartes joker

L’injustice ouverte


À poste égal, est-ce vraiment juste de faire une telle différence entre les membres d’une équipe ? L’ancienneté ne donne pas un statut hiérarchique alors pourquoi leurs donner un tel pouvoir ? Le prétexte que cette personne est plus ancienne dans l’entreprise que la personne qui vient d’être recrutée, est-il vraiment valable ? Bien sûr que non !
Prenons un exemple concret : Demain, une personne avec 25 ans d’expérience est recrutée dans une entreprise. La personne la plus ancienne de cette entreprise a 10 ans d’ancienneté et 15 ans d’expérience. Pensez-vous que la nouvelle recrue est moins compétente que l’ancienne ? Non bien évidemment. Bizarrement, lorsqu’on parle d’expérience professionnelle, ça devient tout de suite plus logique pour tout le monde.

Maintenant, modifions l’exemple. Une personne sortie de l’école, sans aucune expérience hormis ses stages, est recrutée. Pensez-vous qu’elle sera moins compétente que la personne qui a le plus d’ancienneté ? Logiquement, 8 personnes sur 10 répondent oui. Sauf qu’en réalité, pas forcément. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, les personnes en poste depuis longtemps restent sur leurs acquis et ne cherchent pas à se former pour continuer à exceller dans leur domaine. De plus, avec les nouvelles technologies, on est bien plus vite dépassé qu’on ne voudrait l’admettre.

Concrètement, une tâche ingrate c’est quoi ? Quelques exemples :

  • Faire le ménage ou la vaisselle
  • Nettoyer les WC
  • Sortir les poubelles
  • Ranger la réserve ou la commande
  • Faire les courses
  • Faire l’accueil à l’entrée du magasin
  • Distribuer des flyers dans la rue
  • Faire les papiers cadeaux
  • Changer l’encre de l’imprimante
  • Aller à la Poste

En clair, ce sont les tâches sans grand intérêt, peu valorisante, vu généralement comme le « sale boulot ». Qu’on soit ancien ou nouveau dans l’entreprise, personne n’a vraiment envie de faire ces tâches qui sont pourtant nécessaires pour l’entreprise et le bien-être de tous.

La motivation


Parlons de la motivation. Si on part du principe que les tâches indésirables sont systématiquement refilées aux juniors ou aux nouvelles recrues, comment ces collaborateurs voient leur avenir dans l’entreprise ? Quelles sont leurs sources de motivation ? En partant de cette idée, il est normal que les nouvelles générations ne soient pas très motivées, non ? Les apprentis, les stagiaires et les jeunes diplômés sont régulièrement bien moins considérés que les anciens.

Vous entendrez souvent cette phrase horrible : « Tu n’es qu’un•e stagiaire / qu’un•e apprenti•e / qu’un•e jeune diplômé•e ».

Pire encore : « Refile ça aux stagios ! ».
Est-ce vraiment nécessaire de le rappeler? N’ont-ils pas besoin d’être valorisés plus qu’être descendus en permanence ?

Il en va de même pour un profil senior avec une grande expérience professionnelle. Un Manager qui dit, du haut de ses trente ans : « Tiens, tu viens d’arriver, donc fais ci, fais ça et pas de discussion. » Rien de mieux pour alimenter cette animosité entre les anciennes et les nouvelles générations. Il serait bien plus stratégique d’essayer de les rassembler plutôt qu’essayer de les diviser.

Bizutage

L’évolution professionnelle


Souvent, l’évolution professionnelle se fait sur l’ancienneté alors qu’elle devrait être basée uniquement sur les compétences. On peut très bien avoir peu d’ancienneté dans l’entreprise et être bien plus compétent•e que les anciens. Il n’y a rien de choquant de faire évoluer une personne fraîchement recrutée à un poste supérieur si ses compétences répondent aux besoins de l’entreprise. Bizarrement, si cette même personne était directement recrutée au poste à responsabilités, cela ne choquerait personne mais le simple fait de faire évoluer quelqu’un de moins ancien dans l’entreprise dérange profondément. Ce principe ancrée dans la culture de l’entreprise génère cette pensée négative et ce sentiment d’injustice. Si les évolutions professionnelles étaient uniquement basées sur les compétences et non sur l’ancienneté, la question ne se poserait même pas.

Cette croyance erronée fondée sur le simple fait que les anciens n’ont plus besoin de remise à niveau car leurs compétences sont acquises, constitue une erreur majeure en management. Encore plus si on conforte l’idée en disant régulièrement : « Ils n’ont pas de compte à rendre. Ils n’ont plus rien à prouver. » Les compétences s’entretiennent pour les garder au top niveau, pour être un expert en la matière. Avez-vous déjà vu un champion du monde arrêter son entraînement sous prétexte qu’il était champion ? Voir les formations professionnelles pour rester un champion

Le mentoring

Bien au contraire, les anciens devraient confirmer leur expérience professionnelle en la partageant avec les nouvelles recrues mais aussi en continuant à se former pour apprendre de nouvelles choses. Pour cela, rien de mieux que le mentoring. La définition est ici. La personne la plus ancienne devient le mentor de celle fraîchement recrutée pour l’accompagner dans sa prise de fonction en partageant son expertise. Le mentoring est un échange de conseils et d’expertise. Ce système est un excellent moyen de développer les connaissances et/ou compétences. Le mentoring peut aussi se transformer en binôme après l’intégration pour que la nouvelle recrue partage aussi son expertise sur un autre domaine. Laisser les jeunes montrer leurs compétences et leurs connaissances n’est pas une marque de faiblesse, mais un gage de confiance et de respect entre les collaborateurs.

Mentoring

Le contrôle continu


Autre point, les anciens collaborateurs n’ont plus, ou bien moins, besoin de se justifier comparés aux nouvelles recrues car la confiance est plus importante envers les anciens que les nouveaux. Les nouvelles recrues sont plus régulièrement évaluées ou surveillées du simple fait qu’elles sont nouvelles dans l’entreprise. Ainsi, elles devront se justifier pour montrer qu’elles travaillent vraiment et montrer ce qu’elles ont fait auprès de la hiérarchie alors que les anciens n’ont plus besoin de la faire car la confiance est déjà gagnée.

Pire encore, à faute égale, la nouvelle recrue sera bien plus sévèrement sanctionnée qu’un•e collaborateur•rice ancien•ne. Exactement pour la même raison. Un ancien aura le bénéfice du doute, pas la nouvelle recrue. Est-ce vraiment juste ? Un ancien ne devrait-il pas entretenir la confiance que son employeur lui a accordé ? N’est-il pas envisageable qu’un ancien•ne collaborateur•rice fasse un faux pas ? Le contrôle devrait être pour tout le monde et ce, peu importe l’ancienneté dans l’entreprise.

Contrôle continu

La concertation à sens unique


Les chefs ont une bonne idée. C’est bien pour l’entreprise. Ils vont partager l’idée avec les anciens qui seront totalement d’accord à partir du moment où ce sont les nouvelles recrues qui se chargeront des tâches. Qui a demandé l’avis aux nouveaux ? Ces personnes fraîchement recrutées n’ont pas leur mot à dire, elles sont nouvelles dans l’entreprise.

Étrangement, on a tendance à demander l’avis aux anciens mais pas aux nouvelles recrues. L’une sera sous forme de requête et l’autre sera une injonction. La requête se transforme souvent en injonction car l’ancien refusera d’avoir une tâche additionnelle donc c’est la nouvelle recrue qui héritera de la mission, sans que personne ne lui ait demandé son avis. Si une personne est recrutée dans l’entreprise, c’est qu’elle est compétente donc pourquoi n’aurait-elle pas son avis à donner au même titre que les plus anciens collaborateurs ? Lorsqu’un manager demande un avis ou un feedback à l’équipe, il doit être global, pas ciblé uniquement aux anciens collaborateurs.

De l’injustice à l’esprit d’équipe


Le collectif a souvent tendance à être oublié alors qu’il devrait passer bien avant l’histoire de l’ancienneté. Nous ne sommes plus dans la cour d’école où l’on choisissait d’abord les copains•copines puis les autres se retrouvaient souvent dans l’équipe des « non choisis ». Pour cela, il faudrait qu’on arrête de penser comme dans les années 50 et qu’on fasse réellement évoluer les choses en entreprise. On ne peut pas vouloir une entreprise moderne en utilisant des pratiques managériales des anciennes générations.

L’ancienneté ne devrait pas entrer en compte dans la distribution de ces tâches qui n’ont strictement rien à voir avec le niveau de compétences et d’expertise. Ce type de tâches partent du bon sens et devraient être distribuées à part égale entre les membres de l’équipe pour renforcer l’esprit d’équipe et le respect du travail de chacun. Il en va de même pour le choix des formations professionnelles. Le manager devrait prendre en considération les demandes mais surtout les besoins de l’équipe pour attribuer les formations aux collaborateurs qui en ont le plus besoin. Enfin, pour motiver les nouvelles recrues, on évitera de faire un planning à la carte aux anciens de refiler le reste aux nouveaux. On ne peut pas dire : « les nouveaux ne sont pas motivés » si rien n’est fait pour qu’ils se sentent intégrés.

L’impartialité est de rigueur entre les membres d’une équipe, cela n’a strictement rien à voir avec l’ancienneté. On valorise l’ancienneté avec des primes d’ancienneté et du mentoring. On motive avec une équité et un partage des tâches, même les plus ingrates !

Christelle Mokdad

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